Questionner les contes qui ont forgé nos représentations de l’architecture, de la ville et du paysage
Publiée le mercredi 14 décembre 2022

Réécriture du conte des trois petits cochons

Avec les enjeux écologiques qui s’imposent aujourd’hui, peut-on continuer à raconter les contes d’hier sans se questionner sur ce qu’ils inculquent, dès le plus jeune âge aux futurs citoyens ?

Aujourd’hui, nous sommes conscients que faire l’architecture, la ville et le paysage de façon plus vertueuse requestionne : l’utilisation outrancière de matériaux très carbonés – béton, métaux, verre, plastiques, etc – les formes urbaines consommatrices de surface, l’imperméabilisation des sols, la consommation énergétique des bâtiments, le manque de biodiversité en milieu urbain…

Quel lien avec les contes ?

Si on considère les contes de notre enfance avec le prisme écologique contemporain, on se rend compte du décalage de leurs discours et de leurs dispositifs de transmission (morale, symbolique, personnages, décors) avec les enjeux sociétaux actuels. Pour comprendre ce décalage, il faut comprendre la société et les enjeux de l’époque qui les ont commis, afin de les adapter à aujourd’hui.

Le conte c’est aussi un moyen de toucher un public large et intergénérationnel : un conte pour tout petit est raconté par un adulte, les deux sont impactés avec des niveaux de lecture différents.

 

Projet de réécriture du conte des trois petits cochons

Le conte des Trois Petits Cochons…

Prenons comme exemple l’inoffensif (en apparence) conte des Trois Petits Cochons, première cible de nos jeux de réécriture. Pour en résumer grossièrement la morale, ce conte anglais pré-industriel prône le laborieux et la coopération : les deux premiers petits cochons construisent à la va-vite, préférant s’amuser que de passer du temps à « bien édifier » leurs habitations. Il ne s’en sortent pas, contrairement au troisième qui s’applique à construire une maison solide, résistante aux assauts du grand méchant loup. La valeur travail est toujours d’actualité – quoique certaines pensées commencent à la requestionner – et la coopération a le vent en poupe avec les expériences concluantes de la concertation et du participatif. Ce qui nous titille dans ce conte, ce sont plutôt les dispositifs narratifs : les matériaux de construction choisis, la forme des habitations, leur emplacement et les personnages.

 

Même s’ils ne sont pas centraux dans la morale, les matériaux et leur rôle dans l’histoire sont des dommages collatéraux s’inscrivant profondément dans les représentations des enfants et des adultes. Nous le notons au quotidien dans les échanges avec nos publics.

Les deux premières maisons – l’une en paille, l’autre en bois – s’effondrent, tandis que la troisième en brique maçonnée, résiste au souffle du loup. Par la force de la narration, la construction maçonnée devient la figure de bonne pratique constructive. On dit d’ailleurs couramment « construire en dur » pour souligner la solidité et la pérennité de la maçonnerie.

A contrario, la paille et le bois sont dévalués par le conte puisqu’ils causeront la perte des deux petits cochons paresseux.

 

… raconté aujourd’hui ?

Peut-on continuer à transmettre ces considérations de l’Angleterre des XVIIIème et XIXème siècle aujourd’hui ?

En France, l’utilisation massive de la maçonnerie en béton, parpaings et terre cuite pose aujourd’hui de nombreux questionnements écologiques : combien d’énergie faut-il pour fabriquer le béton, les briques ou les parpaings de ces murs ? Et quand l’hiver vient, combien d’énergie faut-il pour chauffer ces constructions solides mais très mal isolées ? Sans parler de la canicule en été…

Isolons-les ! me direz-vous ? Oui, mais combien d’énergie faut-il encore pour fabriquer ces laines isolantes techniques ? pour fabriquer les millefeuilles de membranes plastiques les protégeant de la pluie, de la vapeur d’eau ? pour fabriquer et faire fonctionner les ventilations mécaniques qui aèrent artificiellement ces « boites hermétiques », vulnérables aux rejets produits par la vie qui les habite.

 

Reconsidérons le bois et la paille en faisant la lumière sur ces oubliés de la construction de l’Après-Guerre à nos jours. En plus d’être aussi solides que n’importe quel autre matériau, ils sont biosourcés, renouvelables, biodégradables, peu carbonés, non polluants, constituant une des pistes les plus prometteuses de la construction écologique. Constatons aussi la qualité technique et esthétique des constructions en paille et/ou bois qui produisent des architectures contemporaines tout-à-fait intégrées à nos climats et cultures européennes. Cf. les lauréats des TerraFibra Awards – prix international d’architecture en fibres végétales et terre crue – ou du Prix Pritzker 2022.

La paille, pour ne citer que celle-ci, est à la fois structurelle et isolante, locale et renouvelable, économique et rapide à mettre en œuvre. Elle permet de fabriquer des bâtiments au confort thermique indéniable, notamment par leur capacité à gérer les échanges de vapeur d’eau : au lieu de l’empêcher d’aller dans les murs, ce sont les murs qui la régulent, comme le ferait un être vivant.

On peut aussi questionner le choix du pavillonnaire dans cette représentation de l’habitation idéale : individuelle et à la campagne. Les trois petits cochons pourraient choisir de s’installer en ville, ou de se construire une habitation collective ? mutualisant ainsi occupation du sol, matériaux, savoir-faire, consommations, équipements, déplacements, etc. Ils contribueraient ainsi à la préservation des terres agricoles pour leur alimentation locavore et favoriseraient l’infiltration des eaux dans les nappes phréatiques.

Et si on dépasse le cadre de nos actions CAUE, on peut aussi discuter l’individualisme, le jeunisme, l’absence de figure féminine, la diabolisation du loup, etc.

Et vous ? Comment réécririez-vous le conte des Trois Petits Cochons aujourd’hui ?

Julie Le Berre, Chargée de mission sensibilisation

En
résumé

  • LieuCAUE Var, 26 Place Vincent Raspail à Toulon
  • Semaine des contesDu 13 au 16 décembre 2022